Demande d’enquête spéciale – Le suicide de Madame M au centre de détention Leclerc, logique de criminalisation et d’incarcération des femmes

Publié le: 4 décembre 2019

Montréal, le 4 décembre 2019

Mme Geneviève Guilbeault
Ministre de la Sécurité Publique

Mme Sonia Lebel
Ministre de la Justice du Québec

M. David Lametti
Ministre de la Justice du Canada

Mme Myriam Monsef
Ministre des Femmes et de l’Égalité des genres

Madame la Ministre,

En cette période des 12 jours d’action contre les violences faites aux femmes, il nous semble important de parler de celles qui ne sont pas encore crues, celles qui doivent encore faire un travail de survie sans soutien ni reconnaissance de l’État québécois et canadien.

Le 5 novembre à la prison Leclerc, une femme a mis fin à ses jours. C’est le quatrième suicide qui survient dans cette prison pour femmes en l’espace de deux ans. Au moins dix tentatives ont également eu lieu dans la même période.

En tant que féministes, nous constatons que les prisons sont des lieux de reproduction de la violence étatique et institutionnelle, où les femmes sont davantage vulnérables. Nous croyons que le système carcéral, et spécifiquement la prison Leclerc, est un facteur aggravant ayant poussé Madame M à mettre fin à son combat de la façon dont elle l’a fait. Les conditions de son incarcération concluent la funeste épopée d’injustices qu’elle a vécue : l’acharnement des États canadien et étatsunien dans la non-reconnaissance des violences post-séparation de son ex-conjoint violent ainsi que la persécution qu’elle a vécue sur une période de neuf ans de notre système de justice, et enfin la négligence de l’administration québécoise.

“Madame M” était une mère de famille de trois enfants, originaire du Québec, établie aux États-Unis. Elle s’est enfuie avec ses enfants pour retourner au Canada en 2010 pour les protéger de leur père violent. Dix jours après le jugement d’extradition définitif de la Cour Suprême, elle est retrouvée morte dans sa cellule de la prison Leclerc. Loin d’être une séquence vécue sur quelques semaines seulement, Madame M a vécu pendant plus de neuf ans différentes formes de violences étatiques : la non-reconnaissance de celle vécue dans sa relation conjugale; l’acharnement des gouvernements des États-Unis et du Canada à la punir; et, finalement, l’internement dans une prison que même le gouvernement fédéral refuse d’utiliser à cause de sa désuétude. Le personnel formé à la prévention du suicide n’a-t-il pas vu ses poignets cicatrisés lorsqu’elle a été incarcérée ?

Soyons clair.es, c’est en tant que femme dans une société patriarcale que Madame M a enduré une double violence : la violence conjugale et la violence institutionnelle qui la menaçait d’un procès pour “enlèvement” alors qu’elle cherchait à protéger ses enfants, à défaut d’être protégée par les pouvoirs publics.

Malheureusement, l’histoire de Madame M. n’est pas unique. Les femmes ayant vécu des violences interpersonnelles affirment que le système pénal ne protège pas les personnes marginalisées victimes de relations violentes. Le système carcéral lui-même est une forme de violence dans leur vie, qui reproduit la violence sans se préoccuper de leur réalité. C’est pourquoi aujourd’hui nous exigeons que vous, la ministre de la Sécurité du Québec, conduise une enquête spéciale sur les conditions de détention des femmes à la prison Leclerc.

Veuillez agréer, madame la Ministre, l’expression de nos salutations respectueuses,

Gabrielle Bouchard & Gaëlle Fedida
Pour le G13

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Pages reliées :
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La prison Leclerc : une mesure transitoire de près d’une décennie, 07.03.2019