Une loi sur l’avortement? Merci, mais non merci, Madame la ministre
Gabrielle Comtois, Marceline Fandjo, Jessica Legault cosignent ce texte au nom du Groupe des 13, et Suzanne Zaccour au nom de l’Association nationale Femmes et Droit.
Madame la ministre responsable de la Condition féminine, nous n’avons pas toutes eu l’occasion de vous rencontrer, mais à la suite d’un article publié dans Le Devoir dans lequel vous affirmez avoir l’appui de « plusieurs groupes » dans votre démarche visant à légiférer pour protéger le droit à l’avortement au Québec, nous, les représentantes des groupes nationaux féministes et membres du Groupe des treize (G13), souhaitons vous faire part de notre position sur cette question.
Depuis 35 ans, le G13 est en première ligne pour mettre en oeuvre l’objectif que vous cherchez à atteindre, soit de « [protéger] les droits des femmes et le droit de choisir des femmes ». Nous sommes un espace de concertation et de mobilisation réunissant plus de vingt organismes et regroupements nationaux qui oeuvrent pour la défense des droits des femmes, des filles et des personnes de la communauté 2SLGBTQIA + à travers la province.
Si vous n’aviez pas annulé notre rencontre prévue avec vous cette semaine, vous sauriez que les nombreux groupes féministes qui composent le G13 s’opposent fermement à tout projet de loi sur l’avortement.
Nous joignons aujourd’hui nos voix à celles de l’écrasante majorité des groupes de femmes et des expert·es qui se sont prononcés récemment sur la question. Votre projet d’inscrire dans la loi une mention explicite de l’avortement témoigne d’une réelle déconnexion avec les revendications portées par les principaux groupes de femmes au Québec depuis des décennies.
Depuis deux mois, les groupes de défense de droits en santé sexuelle et reproductive vous font parvenir des documents, des avis d’expert·es et des lettres expliquant qu’une mention législative du droit à l’avortement serait contre-productive. En raison du partage des compétences entre le provincial et le fédéral, une telle intervention ne serait d’aucune utilité pour protéger les Québécoises et les Québécois contre une éventuelle attaque au droit à l’avortement.
Au contraire, elle ne pourrait qu’empirer la situation en fournissant aux groupes anti-choix une occasion de se mobiliser et en ouvrant la porte à d’éventuelles restrictions législatives. Il n’existe, au Canada, aucune restriction légale au droit à l’avortement. C’est une situation que nous célébrons et que les groupes féministes et les groupes de femmes veulent conserver.
Malgré ces explications, vous déclarez être « exactement à la même place que quand [vous avez] commencé ». Comment pouvez-vous protéger les droits des femmes si vous ne les écoutez pas ?
Nous espérons sincèrement que vous cherchez toujours « d’autres chemins plus forts qu’une loi » pour garantir le droit à l’avortement. Si vous souhaitez réellement garantir les droits des femmes sur cette question, nous vous enjoignons de vous pencher sur les problématiques d’accessibilité dans la province.
En effet, plusieurs obstacles empêchent toujours certaines femmes et personnes désirant mettre fin à une grossesse d’y avoir concrètement accès. Les régions de l’Outaouais, de la Capitale-Nationale, de Chaudière-Appalaches et le Nunavik ne détiennent qu’une seule ressource pour desservir leur population. Certaines cliniques requièrent quatre à six déplacements pour un avortement. Trop de cliniques ont des délais d’attente de trois à cinq semaines. Pour les personnes sans accès à la RAMQ, les soins en santé sexuelle et reproductive, tels que les avortements, mais aussi les dépistages des ITSS, les trousses médico-légales ainsi que les suivis de grossesse sont inaccessibles car les frais exorbitants limitent leur libre choix et leur autonomie corporelle.
Parmi des pistes d’actions concrètes que nous défendons : lutter contre la désinformation au sujet de l’avortement et garantir un financement adéquat et pérenne des groupes d’intervention pro-choix comme les S.O.S. Grossesse et Grossesse-Secours sont autant d’autres solutions que nous avons à vous proposer.
Le Québec dispose d’un mouvement féministe riche en expertise. Nous répondrons à l’appel lorsque vous serez prête à nous entendre.
Pages reliées :
Les dangereux idéaux de Martine Biron en matière d’avortement, Christine St-Pierre, L’actualité, 25.09.2023
Martine Biron révise sa position sur le droit à l’avortement, Marie-Michèle Sioui, Le Devoir, 20.09.2023
Lancement du rapport Garantir le droit à l’avortement en renforçant l’accès aux services, FQPN et partenaires, 07.09.2023
Loi sur l’avortement – Une fausse bonne idée, Isabelle Hachey, La Presse, 24.06.2023
Martine Biron ne devrait pas légiférer sur le droit à l’avortement, Marie-Andrée Chouinard, Le Devoir, 23.06.2023