par Odile Boisclair, co-coordonnatrice de L’R des centres de femmes du Québec

L’R des centres de femmes du Québec a été étonné de lire les propos de Sam Watts dans l’édition du 22 juin de La Presse. Empreints de conservatisme, ses propos nous apparaissent problématiques, particulièrement en ces temps cruciaux pour le financement des organismes communautaires. Ils balaient sous le tapis la mission de transformation sociale qui est non seulement propre aux organismes, mais aussi plus pertinente que jamais.

Rappeler les faits

Les organismes d’action communautaire autonomes, comme les centres de femmes, sont issus des communautés qui les voient naître. Ainsi, ces organismes sont ancrés dans leurs quartiers, leurs villes et leurs régions, en plus d’être gérés en partie par la population qu’ils desservent et de bénéficier d’une certaine autonomie par rapport à l’État, afin d’éviter le favoritisme et l’érosion du filet social à la faveur des priorités et intérêts des partis au pouvoir.

Dans son texte, M. Watts amalgame ces organismes communautaires aux organismes caritatifs et philanthropiques, une association qui pique les yeux de bien des personnes engagées. En effet, organismes communautaires et fondations entretiennent des relations parfois tendues, ces dernières ayant souvent beaucoup plus en commun avec les bailleurs de fonds qu’avec les populations qu’elles prétendent servir ou les organismes qu’elles subventionnent.

Exiger des organismes communautaires – au nom du gouvernement ou de donateurs privés – qu’ils « innovent », « maximisent leur impact » et « fassent rayonner leurs réussites », c’est appliquer une logique marchande à mille lieues des réalités complexes, délicates et interreliées avec lesquelles les intervenants et intervenantes communautaires composent.

En balayant ces faits sous le tapis, il est aisé pour M. Watts d’affirmer que les Québécois devraient s’inquiéter de l’allocation des fonds publics. En plus d’appliquer une vision unique à des univers fort différents, ce que cette affirmation passe sous silence, c’est que les Québécois siègent déjà aux conseils d’administration des organismes communautaires autonomes. Ils en sont membres et composent ainsi des assemblées générales souveraines.

Les organismes qui ne répondent pas aux besoins de leur milieu sont remis en question, par le bailleur de fonds et par la communauté. Ce qui devrait inquiéter les Québécois, selon nous, c’est bien davantage la gestion des fonds publics par des fondations privées ou des organismes caritatifs à vocation religieuse.

Des organismes agiles

La technocratie prônée dans le texte de M. Watts, le tout à la reddition de compte et aux résultats, ne pourraient pas être plus en porte-à-faux avec les visées mêmes de l’action communautaire, qui vise avant tout la transformation sociale, un élément qui se trouve rarement dans une case de formulaire d’un bailleur de fonds.
Cette transformation est néanmoins nécessaire si nous souhaitons un jour arrêter d’apposer des diachylons sur des blessures toujours plus profondes.

C’est pourquoi les centres de femmes, comme la majorité des organismes d’action communautaire autonomes, préfèrent agir sur les déterminants sociaux de la pauvreté et non pas uniquement sur ses conséquences.

Ce travail « radical » est l’essence même du communautaire, qui est aux premières lignes pour voir apparaître les changements au sein même des populations – au gré des changements à l’aide sociale, des pandémies, des canicules, des conjonctures politiques internationales, des drames dans les communautés, etc. – et d’identifier rapidement les nouveaux besoins, de façon à mettre en place les services réclamés par la population bien avant que l’État ne s’en mêle. Plus de technocratie, de cases à remplir, ralentirait nécessairement les organismes alors que leur agilité fait leur force.

Un pas en avant, deux en arrière

Tout comme M. Watts, nous croyons également que la pandémie se doit d’entraîner des changements dans les façons de faire. Nous entendons par là plus d’écoute de la part du gouvernement aux besoins nommés par les groupes qui entendent et soutiennent les communautés, plus d’autonomie et un meilleur financement à la mission et non pas par projet, une façon morcelée et précaire de financer les organismes pour poser des diachylons plutôt que pour chercher à endiguer les blessures.

Un autre changement essentiel que cette pandémie a mis en lumière est la nécessité d’appliquer l’analyse différenciée selon les sexes et intersectionnelle à tous les programmes, mesures et projets de loi gouvernementaux pour s’assurer que ceux-ci ne viennent pas renforcer des inégalités entre les femmes et les hommes et entre les femmes elles-mêmes.

Ce genre de mesures permettent de prendre en compte des groupes marginalisés qui tendent à disparaître quand on vise « la majorité ». Elles permettent aussi d’éviter d’organiser la relance autour des emplois à majorité masculine alors que les femmes sont les plus nombreuses à avoir perdu leur emploi à cause de la pandémie…

Alors que M. Watts dénonce la compétitivité entre les organismes, nous croyons qu’une solidarité grandissante doit s’installer entre les organismes communautaires et l’ensemble de la population. Faisons place à la solidarité avant la logique marchande!

Page reliée : Financement des organismes communautaires : il est temps d’enterrer les vieux préjugés, RQ-ACA, RIOCM et RAPSIM, 24.06.2020